Prenons des hypothèses « standard » :
Et comparons deux portefeuilles un 40/60 (à gauche) et un 60/40, en nominal et sans tenir compte des taxes, en ajustant le levier de manière à avoir la même volatilité pour les deux :
(Note : tu ne peux pas construire un portefeuille ayant ce levier et cette proportion d’actions avec juste un ETF actions x2 et un ETF obligataire, en pratique tu ajusterais la proportion d’actions pour une volatilité cible. Sujet connexe, mais c’est pas ce que je veux te montrer).
A priori, pas de différence entre les deux portefeuilles si on regarde juste l’espérance et la volatilité, n’est-ce pas ? Mais le diable se cache dans les détails.
Le 60/40 a le mérite de la simplicité. Il ne te soumet pas aux problématiques de financement : le coût d’emprunt à court terme évolue dans le temps et le coût de roulage des futures n’est pas stable non plus. Il élimine la nécessité de devoir réduire la voilure sur le levier lorsque le portefeuille baisse (mais tu dois tout de même rééquilibrer).
L’intérêt du 40/60 réside dans sa plus grande robustesse.
Si on regarde la contribution marginale au risque des actions (cf. leçon sur les cryptos, vers la fin il y a un encadré qui explique ce genre de calculs), le risque du portefeuille 40/60 dépend pour ~75% des actions. Les actions vont déterminer à plus de 90% le risque global du portefeuille 60/40. Autrement dit : le 40/60 diminue ta dépendance à la prime de risque des actions.
En outre, nos estimations de départ sont incertaines, surtout celles sur les actions.
Les estimateurs d’espérance de rendement à long terme (~10 ans) les moins nuls dont on dispose pour les actions (Schiller CAPE et compagnie) ont eu une erreur moyenne de 2% à 2,5% annualisés. Cela veut dire qu’on doit s’attendre à ce que l’espérance de rendement annualisée qui sera réalisée sur les 10 ans à venir sera plus probablement entre 3% et 8%, mais avec des chances significatives d’être hors de cette fourchette.
Pour les obligations, le rendement à maturité est globalement plus fiable tant qu’on est dans des durées similaires à la duration du panier d’obligations (autour de 7/8 ans, donc à la louche notre horizon d’estimation sur les actions). Si tu prends des obligations Investment Grade, tu as une bonne idée de ce qu’elles vont te rapporter d’ici à leur échéance, même si tu ne connais pas le chemin. Lorsqu’on raisonne à long terme, cette prédictibilité est sacrément pratique.
De la même manière qu’on calcule l’espérance et la volatilité d’un portefeuille à partir des hypothèses qu’on a pris, on peut évaluer l’impact des erreurs d’estimation sur notre portefeuille (principalement sur les rendements, mais on peut aussi le faire sur les corrélations).
On comprend intuitivement que le portefeuille 40/60 est moins sensible à ces erreurs d’estimation : il diversifie ses rendements sur deux primes de risque distinctes, et s’appuie davantage sur l’estimation la moins incertaine. On a donc moins de chances de s’être planté dans notre estimation de l’espérance à long terme, donc on a moins de chance de tomber sur une configuration encore plus défavorable que ce que nos estimations supposent. Surtout si l’on suppose que l’on va se planter différemment dans nos estimations (c’est-à-dire qu’on croit que les erreurs d’estimation des rendements des actions et des obligations sont peu corrélées
).
Ca te suffit, ou on parle aussi de l’asymétrie du profil de rendement (skewness) ? 
Sans compter que tout ça est hors fiscalité. A priori les actions seront logées en PEA quoiqu’il arrive, mais ce qu’on fait pour les obligations peut avoir un impact. Le mode de financement de la dette, la possibilité de rééquilibrer par des apports et d’éventuels frais d’AV compliquent la donne.
J’ai une tendance naturelle à aller sur du levier car :
- La complexité accrue ne m’embête pas et je peux utiliser des outils de financement très efficaces.
- Même si j’ai relativement confiance dans ma discipline d’investissement, je reste humble sur la fiabilité des estimateurs qui guident mon allocation.
- Je ne diversifie pas uniquement des obligations, j’ajoute aussi des alternatifs. Cela rend les portefeuilles à levier significativement plus attrayants sur le papier, même si mes estimateurs sont encore plus nuls qu’avec les actions.
Bref. Le 40/60 à levier, c’est plus prise de tête, mais je le trouve plus robuste. Si tes revenus sont stables et que tu peux te permettre de te prendre une « décennie perdue » dans la tête sur les actions, le 60/40 est aussi une solution très acceptable !