Voltaire, le philosophe financier

« Il faut être, en France, enclume ou marteau : j’étais né enclume. Un patrimoine court devient tous les jours plus court, parce que tout augmente de prix à la longue, et que souvent le gouvernement a touché aux rentes et aux espèces. Il faut être attentif à toutes les opérations que le ministère, toujours obéré et toujours inconstant, fait dans les finances de l’État. Il y en a toujours quelqu’une dont un particulier peut profiter, sans avoir obligation à personne ; et rien n’est si doux que de faire sa fortune par soi-même : le premier pas coûte quelques peines ; les autres sont aisés. Il faut être économe dans sa jeunesse ; on se trouve dans sa vieillesse un fonds dont on est surpris. C’est le temps où la fortune est le plus nécessaire, c’est celui où je jouis ; et, après avoir vécu chez des rois, je me suis fait roi chez moi, malgré des pertes immenses. »

Voltaire nait dans la petite noblesse en 1694 et fréquente Louis-le-Grand (il ne part pas de 0 non plus :grin:)

Il découvre et est fasciné par l’Angleterre au début du 18eme :

  • Faible distinction de classes
  • LibertĂ© religieuse
  • DĂ©veloppement du commerce et de la finance (Banque d’Angleterre, Bourse)

Et à en croire la taille du marché UK à la fin du XIXeme, on peut se douter qu’il a eu raison

En 1729, le gouvernement français crée des obligations avec des tickets de loterie pour attirer les investisseurs (« Achetez une obligation, recevez un billet de loterie gratuit »). Voltaire et le mathématicien La Condamine exploitent une erreur de calcul : les gains fixes rendent le jeu très profitable si on achète des obligations décotées. Ils montent un structure, achètent massivement et raflent les lots pendant deux ans. Le gouvernement enquête mais ne trouve aucune fraude : c’était juste de l’arbitrage. Voltaire gagne une fortune équivalente à plusieurs millions, qui lui assure l’indépendance financière pour le reste de sa vie et finance son œuvre critique et philosophique.

Plus généralement, il rompt avec la vision de ses prédécesseurs, marquée par le moralisme et la théologie, où produire de la richesse/s’enrichir ou faire circuler la monnaie étaient vus comme un tabou, presque condamnables. Lui affirme que c’est précisément cela qui permet à l’individu de se libérer. Il défend le luxe consommé par la noblesse comme stimulant économique (théorie du « ruissellement » avant l’heure) tout en critiquant l’oisiveté de cette dernière.

Il se sera donc enrichi via

  • Son arbitrage des obligations françaises
  • La spĂ©culation et l’investissement dans le commerce atlantique (dans sa jeunesse)
  • Le rĂ´le de prĂŞteur/banquier auprès de princes et d’exilĂ©s (dans sa veillesse)
  • Ses Ĺ“uvres littĂ©raires

Il terminera sa vie avec deux châteaux, 70 000 livres de rente et 200 000 livres en argent comptant.

Je suis toujours fasciné quand je découvre que la Finance (et tout ce qui en découle) ne commence pas au début du 20eme siècle :grin:

Tiré de :

6 « J'aime »

Merci. Très intéressant. Un aspect de la vie de Voltaire que l on devrait mettre en avant. Ne jamais oublié que le xviiii siècle est celui des jeux de hasard, du calcul des probabilités, de l introduction des billets de banque avec Law (la crypto de l époque). Les mathématiciens français de l époque étaient aussi à la pointe.

3 « J'aime »