Le FIRE malgré lui

Ceci n’est pas une pièce de Molière… :performing_arts:

Suite à un accident de santé, mon cousin François arrête brusquement son métier d’expert-comptable à 38 ans. Il est en train de vendre ses parts dans la société et va toucher une prévoyance d’un montant très significatif.

Nous travaillons ensemble sur sa stratégie patrimoniale, mais je souhaite l’évoquer ici avant que nous nous frottions aux CGP indépendants.


Données du problème

Situation personnelle :

  • Célibataire sans enfants. Cette situation pourrait changer dans les prochaines années. Les objectifs sont donc incertains.
  • Espérance de vie quasiment habituelle : il est raisonnable d’assurer 50 ans de retraite.
  • Présence d’une holding, coquille presque vide pour le moment (un peu d’immobilier).

Budget :

  • Pension d’invalidité : 25 k€ annuels à vie
  • Dépenses annuelles hors logement : 75 k€

Patrimoine simplifié :

  • RP : 2 M€ (achat à venir)
  • Liquidités : 2 M€

Analyse

Nous sommes dans un cas proche des FIRE américains, avec un gros capital, un âge jeune et une petite pension.

En première approximation, on pourrait donc suivre la stratégie de reverse glide path pour diminuer le risque de séquence. L’allocation canonique semble être le fameux 60/40, et la cible pourrait être 80/20 à dix ans, à ajuster en fonction de l’aversion au risque calibrée sur les premières années.

On commence avec un portefeuille très simple, qu’on ajuste grâce aux retraits : un ETF actions MSCI World, un ETF obligations Global Aggregate. On rééquilibre chaque trimestre si nécessaire.

Pour les enveloppes fiscales, une fois que le PEA est plein, ni l’assurance-vie ni le CTO ne semble se dégager de façon évidente.

Par la suite (2026+), les sujets à travailler pourront être les suivants :

  • Utilisation de la mean variance optimization en optimisant pour une volatilité cible.
  • Utilisation du levier pour optimiser le rendement à risque équivalent.
  • Optimisation des retraits.

Quel est votre avis ? En particulier, quels pourraient être les erreurs difficiles à corriger ?

Hello Benoit :slight_smile:

On commence par le traditionnel disclaimer : ce ne sont pas des conseils financiers. On peut poser des questions/guider/expliquer mais on aura jamais vraiment le tableau complet pour donner des conseils personnalisés.

Quelques points divers, en vrac non-priorisés :

  1. Petite mise en garde (même si ça peut sembler contre-intuitif) : ne bougez pas trop vite. Ce genre de bouleversements existentiels nécessite souvent une période d’ajustement (et de deuil parfois), un peu de temps pour s’adapter à son nouvel état, et pour déterminer exactement ce dont on a besoin/ce qu’on veut. Garder de la marge et attendre un peu a parfois un ROI supérieur.

  2. Avez-vous travaillé sur différents scénarios d’évolutions sur les dépenses annuelles ? Notamment en fonction de l’évolution médicale ?
    Dépenses actuelles =/= Dépenses futures. Ça va avoir un impact non-négligeable sur la quantité de cash/liquidités à conserver.

  3. Acheter la RP en cash est-il la seule option ?
    Je comprends bien que l’accès au crédit est beaucoup plus difficile après un accident de santé. Cela dit, d’un point de vue optimisation financière, ça vaut le coup de se poser la question : ne serait-ce qu’un crédit nanti sur 15 ans pourrait être bien plus profitable à terme.

  4. Côté FIRE : pour moi, la stratégie de retrait n’est pas un sujet 2026+ mais bien un sujet auquel il faut penser dès maintenant ; ne serait-ce que pour optimiser la rentabilité nette nette (après frais et impôts) des enveloppes. Ça vaut le coup de se pencher sur la question et de pas juste se reposer sur la règle des 4% de Trinity (ou 3,5% de l’article que tu partages).

  5. Liquidités, liquidités, liquidités. Même si ça rapporte pas grand chose sur le papier, c’est impératif pour préserver ses options, et pas se retrouver dans la panade. Concrètement, pour moi, ça voudrait dire au minimum (!) 75K€ répartis entre des livrets réglementés/fonds euros. Vu que tu nous donnes une vision simplifiée, est-ce déjà prévu en plus des 2 millions du portefeuille 40/60 ?

  6. Côté choix des supports : à mon sens, le choix des ETFs sera la partie la plus « simple » de ce travail de conseil - mais là, le choix que tu proposes, me semble un peu « trop » simple. Juste sur la partie actions notamment, la diversification peut être améliorée : le MSCI World est aujourd’hui composé à 71% d’actions américaines, représente seulement les grandes entreprises des pays développés = aucun pays émergeant (Chine, Inde, Brésil, …).
    Selon l’enveloppe, vous aurez aussi accès à des types de réplication différents (physique, échantillonnage, synthétique SWAP, hybride), qui peuvent entraîner des écarts de suivi. Pensez au portefeuille dans son ensemble.

  7. Avez-vous un plan pour l’investissement initial des sommes ? (Spoiler : « tout mettre d’un coup », pas forcément la bonne solution).

Si jamais tu t’intéresses plus aux sujets FIRE, j’ai récemment lu Pathfinders de JL Collins (aussi l’auteur de The Simple Path to Wealth). C’est une série de témoignages qui retracent tout le parcours. Ça ne t’aidera pas vraiment avec la théorie financière / les maths, mais je trouve que ça rend FIRE très humain et invite à se poser pas mal de questions d’introspection sur à quoi ça ressemble pour soi-même.

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2 MM€ d’actifs financiers pour servir une rente perpétuelle de 50 k€ en sus de la pension ?
Cela ne semble pas hors de portée pour des allocations usuelles si ton frère est en mesure.

La présence d’une pension à vie, dès maintenant, qui représente le tiers de la consommation souhaitée, cela réduit énormément le risque de séquence. Cette pension donne de la flexibilité dans la consommation si le marché chahute ton frère pendant la première décennie.

L’allocation de 2 MM€ de RP à l’immobilier me paraît énorme, mais peut-être il y a-t-il des contraintes ?

Sur le court terme, si ton frère n’a pas déjà une AV mature, la fiscalité n’est pas plus intéressante qu’un CTO. Sur le long terme, dans son contexte, les frais vont plus amputer le rendement qu’il ne bénéficiera d’avantage fiscal :

  • L’abattement de 4,6 k€ de PV par an sera vite atteint et ne représentera jamais que ~1200€ d’impôts économisés par an. Il paiera dans les 10 k€ de frais d’AV tous les ans.
  • Comme il aura placé plus de 150 k€ de primes, il n’aura pas d’avantage fiscal supplémentaire sur les retraits au-delà de l’abattement.

Seul l’aspect successoral pourrait justifier une AV sur une partie des frais, mais à ce que tu nous dit ce ne sera pas à l’ordre du jour avant un long moment.

Comme le souligne @MarineH, il n’y a vraiment pas d’urgence à placer les fonds immédiatement. Quand on n’as pas de grosses plus-values latentes, le coût d’arbitrer son allocation (en termes d’Utilité) n’est pas monstrueux. Vous pouvez migrer doucement vers une allocation cible actions/obligs modérée le temps que ton frère explore son aversion au risque.

Vous pourrez toujours ajuster les détails de l’allocation au fur et à mesure et envisager d’autres classes d’actifs de diversification.

Je ne vais certainement pas dire du mal de l’approche MVO ! :grin:
Pour le levier, il a encore du temps pour bien explorer le sujet avant de se décider. Cela peut être un outil de rééquilibrage ou d’amélioration de la fiscalité des retraits.

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Merci @MarineH et @vincent.p d’avoir pris le temps de ces réponses précises.


(Vincent) L’allocation de 2 MM€ de RP à l’immobilier me paraît énorme, mais peut-être il y a-t-il des contraintes ?

(Marine) Acheter la RP en cash est-il la seule option ?

En effet, c’est beaucoup trop. Mais prenons-le comme une donnée d’entrée à l’heure actuelle, même si j’espère encore que ça changera dans les prochaines semaines.

Faire du levier me semble intéressant. Voici les ordres de grandeur. En France en 2025, les conditions habituelles semblent être les suivantes (selon un ami courtier) :

  • Montant : 60 % de la valeur du bien
  • Taux : 5 %
  • Durée : 15 ans en amortissable, 10 ans en in fine

En première approximation, un tel emprunt sera très intéressant en cas d’inflation importante. Mais Victor Haghani nous prévient : “It is generally agreed that forecasting inflation is very difficult and these estimates are fairly coarse.” (The Missing Billionaires, chap. 14)

Si l’inflation n’est pas élevée, à quoi bon emprunter à 5 % pour placer l’argent sur un fonds euros ou des obligations ? Ça semble être une perte certaine ?


(Marine) Côté choix des supports : à mon sens, le choix des ETFs sera la partie la plus « simple » de ce travail de conseil.

Avant d’arriver à la sophistication d’une approche entièrement quantitative, les portefeuilles types d’Édouard Petit semblent un bon début ? Il donne huit exemples dans Créer et piloter un portefeuille d’ETF, chapitre 11.


(Marine) Petite mise en garde (même si ça peut sembler contre-intuitif) : ne bougez pas trop vite. […] Avez-vous un plan pour l’investissement initial des sommes ? (Spoiler : « tout mettre d’un coup », pas forcément la bonne solution).

(Vincent) Il n’y a vraiment pas d’urgence à placer les fonds immédiatement.

J’ai en tête que l’approche lump sum optimise l’espérance de rendement mais pas forcément l’espérance d’utilité. Y a-t-il des bonnes pratiques sur ce sujet ? Attendre d’avoir vécu un krach boursier pour arriver à une allocation cible me semble un peu long.

Avec plaisir :slight_smile:

1. Sur la RP

De manière générale, j’ai tendance à déconseiller fortement le in fine, qui coûte disproportionnellement cher en intérêts par rapport à de l’amortissable.

Peux-tu te renseigner sur un crédit nanti sur 15 ans ? C’est clairement pas des « conditions habituelles » (mais la majorité des gens n’ont ni 4M€ en cash, ni l’éducation financière pour poser la question sur ce cas niche). En gros, tu immobilises entre 105% et 130% de la somme empruntée sur un compte dans la banque (le plus souvent en AV, ça peut être en CAT aussi). L’intérêt c’est : cet argent est investi ET tu utilises ta capacité d’endettement.

Il faut bien lire les petites lignes, notamment les frais associés à l’AV et les supports éligibles sur les sommes bloquées, mais j’ai un client qui a un prêt immobilier comme ça avec 35% fonds euro / 30% obligations / 35% ETF actions – ce qui est pas dégueu.

Tu nous demandais les pièges potentiels – l’achat de la RP peut être semé d’embuches (acheter « trop » grand/cher/maladapté, ou « mal » quand les conditions ne sont pas favorables ou l’argent pourrait être mieux utilisé ailleurs). Tout ce que je dis là c’est : assurez vous d’avoir fait le tour de toutes vos options.


2. Édouard Petit : je connais pas son livre, je suis pas capable de répondre :slight_smile:

Sur les actions, on vise la diversification géographique et sectorielle. Je reproche surtout au MSCI World : trop forte proportion US (boosté par les magnificent 7), absence de pays émergents, vraiment que des très très grosses entreprises.
Si je devais choisir un seul fonds, je prendrais un ACWI (= tous les pays) IMI (= investable market index).
Après, sur plusieurs fonds, c’est assez facile de rajouter ce qui « manque » au MSCI World pour renforcer la diversification.


3. Lump sum vs. DCA

J’avais lu une étude sur l’historique du FTSE All-World (Vanguard je crois, je ne l’ai pas sous la main immédiatement) comme quoi le lump sum est supérieur sur 20 ans dans 68% des cas → ce qui laisse quand même 32% des cas où c’est pas le cas.
Le % en faveur du lump sum diminue si tu réduis l’horizon temporel (5 ans, 10 ans, 15 ans).
L’étude testait différents investissements progressifs ; et arrivait à la conclusion qu’il valait mieux étaler sur un maximum de 12 mois.

Ensuite, ils faisaient une proposition de règle de décision sur la durée de DCA en fonction du % du patrimoine. (ex. si la somme à investir représente moins de 10% de ton patrimoine, lump sum. 20% = DCA sur 3 mois, etc.).

EDIT (ajout) : j’ai loupé un point important par rapport à mon point 6. du dernier message. Outre le choix Lump sum/DCA, une autre raison importante de prendre le temps de faire ses investissements, c’est aussi de se donner l’opportunité de valider et revalider le plan.
Je vois pas trop l’intérêt d’un portefeuille « simple » comme tu le proposes, si c’est pour changer tes allocations 1 an plus tard vers un portefeuille plus « complexe ». Au mieux, tu perds les frais de courtage (ça va). Au pire, tu peux pas faire ta transition ou tu es obligé d’accuser des pertes pour le faire.

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Tu as aussi du risque dans ton immobilier et ce n’est pas le même parfum que dans les obligations (ou d’autres actifs de diversification). L’allocation optimale est un compromis entre le rendement et le risque, ça peut avoir du sens d’intégrer des actifs avec une espérance de rendement un peu plus faible que la dette s’ils sont suffisamment décorrélés de tes autres actifs risqués et ton immobilier. Pour évaluer ça, il faut poser des calculs un peu complexes.

Mais clairement, si tu empruntes à 5% ça va être compliqué. Plus de 3% post inflation, c’est l’espérance de rendement actuelle des actions après imposition. Il faudra creuser pour voir s’il y a mieux sur le marché pour ton frère.

C’est contextuel.

Un trader qui se prend un million de bonus chaque mois de février pourrait tout investir d’un coup sans se torturer l’esprit, car il sait qu’il va probablement recevoir de gros tas de biftons dans le futur : son capital humain reste élevé par rapport à son capital financier et la conversion se fait sur une longue durée. Ce n’est pas le cas de ton frère : ces 4 M€ et les fruits de leur placement vont représenter les 2/3 de tout ce qu’il va recevoir dans le futur.

Dans sa situation, je n’irais pas me torturer l’esprit et me stresser pour espérer 5 ou 10 % en plus à l’échelle de ma vie.

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